En 1836, Musset rencontre chez Caroline Jaubert sa cousine Aimée d'Alton dont le charme le séduit. Sa timidité l'empêche pourtant de se déclarer. En 1837, il lui adresse un poème qui révèle à mots couverts ses sentiments. Aimée lui envoie une plume en guise de réponse. Tous deux s'échangent alors des lettres : celles de Musset ne cachent pas la nature de ses sentiments pour Aimée.
Vous connaissez mon caractère, dites-vous, vous vous trompez à votre tour. Je suis plus vieux que vous d’un an par l’âge, et par l’expérience de dix ans. Que ce mot d’expérience ne vous fasse pas sourire ; mon expérience n’est pas grand-chose ; laissez-moi vous dire ce qu’elle m’a appris.
Faire de beaux rêves et vouloir les réaliser est la première, l’inévitable condition des grands cœurs. Il faut cependant qu’en entrant dans la vie la réalité et ses mille dégoûts frappent tôt ou tard l’espérance encore vierge, et l’abattent au plus haut de son vol. Ce n’est pas une phrase de moraliste que je dis là, c’est une vérité éternelle. La première expérience, Aimée, consiste à souffrir, elle consiste à trouver et à sentir que les rêves absolus ne se réalisent jamais ; ou que réalisés, ils se flétrissent et meurent au contact des choses de ce monde. […]
Cependant on vit et il faut aimer pour vivre encore ; on aime avec crainte, avec défiance, et peu à peu on regarde autour de soi, et on s’aperçoit que la vie n’est pas aussi triste qu’on l’avait jugée, on revient à soi, on revient au bonheur, à Dieu, à la Vérité. […] Plus résigné, [le cœur] jouit mieux des jours heureux, les appelle avec plus d’ardeur, les prolonge avec plus de soin. Il en vient à se dire : le mal n’est rien, puisque le bonheur existe. […]
Laissez battre votre cœur, laissez-vous aimer ; laissez faire le Destin, il y a de beaux jours ici-bas ; ce bonheur que vous niez, il est en vous, dans vos yeux, sur vos lèvres, dans votre sein — respectez votre trésor.
Alfred de Musset, « Lettres d'amour à Aimée d'Alton », 31 mars 1837
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